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Le groupe Dassault Aviation occupe une place singulière dans le paysage industriel français : c’est l’un des rares acteurs capables de concevoir, fabriquer et soutenir un avion de combat de A à Z. Dans un contexte où l’autonomie stratégique redevient centrale, l’entreprise cristallise l’enjeu plus vaste de la souveraineté technologique européenne, tout en affichant des performances export remarquables avec le Rafale. Entre héritage d’ingénieurs visionnaires, innovations digitales et bras de fer autour du programme SCAF, la société fondée par Marcel Dassault incarne un récit industriel ancré dans l’histoire mais résolument tourné vers 2040. Cet article revient sur ses racines, ses leviers d’excellence et les défis qui l’attendent alors que les partenariats internationaux se complexifient.
En bref
- Un héritage débutant dans l’entre-deux-guerres et prolongé par quatre générations de dirigeants.
- Le Rafale, symbole d’indépendance opérationnelle, continue de conquérir de nouveaux marchés.
- Une stratégie de services globale : soutien logistique, modernisation, formation et MRO.
- Une culture d’entreprise fondée sur l’ingénierie, l’audace et la confidentialité des savoir-faire.
- Le SCAF illustre la coopétition avec Airbus Defence and Space, Thales et Safran.
Des origines visionnaires à l’ère du Rafale : un siècle d’histoire industrielle
Lorsque Marcel Bloch, ingénieur de Supaéro, dépose son premier brevet d’hélice Éclair en 1916, rien n’annonce encore la future stature de Dassault Aviation. Après la Première Guerre mondiale, il fonde la Société d’Applications Aéronautiques, conçoit l’avion de transport Bloch 220, puis traverse la Seconde Guerre mondiale avec un nom d’emprunt : Dassault, inspiré du nom de code “Chardasso” de son frère dans la Résistance. Au sortir du conflit, la nationalisation de la filière amène l’ingénieur à se concentrer sur les chasseurs à réaction : de l’Ouragan au Mirage III, l’entreprise devient l’étendard d’une France qui veut exister seule face à l’hégémonie anglo-saxonne.
L’histoire bascule encore dans les années 1980 avec le lancement du programme Rafale. Là où les partenaires européens divergeaient, la France choisit l’indépendance complète. Cette option coûteuse – 55 000 emplois directs et indirects mobilisés – garantit néanmoins une chaîne d’ingénierie maîtrisée. En 2025, 400 Rafale sont produits ou en commande ferme, 60 % pour l’export. Le contrat historique passé avec l’Inde en 2016, suivi par la Grèce, la Croatie, les Émirats arabes unis ou encore l’Égypte, propulse l’appareil comme un outil diplomatique.
La dimension familiale constitue un autre trait distinctif. Après Marcel, Serge Dassault assoit la diversification dans la presse et les affaires. Aujourd’hui, Éric Trappier dirige la branche aéronautique avec un discours offensif sur la souveraineté : « On sait faire un avion de combat de A à Z ». L’anecdote raconte qu’il fait encore placer sur son bureau une demi-aile du Mirage IV pour rappeler aux jeunes ingénieurs qu’un rêve d’ingénierie peut produire un outil stratégique durable. En coulisses, des partenaires historiques comme Thales pour l’électronique, Safran pour la motorisation ou MBDA pour l’armement finissent de constituer un écosystème soudé.
Les alliances ne se limitent pas à la défense. Dassault Falcon Jet, créé en 1967, illustre le versant civil : plus de 2 600 avions d’affaires livrés dans 90 pays. C’est dans cet univers qu’est née, en 2007, la plateforme numérique PLM 3DEXPERIENCE co-développée avec Dassault Systèmes, devenue la colonne vertébrale de la conception des Falcon 10X et des futurs Rafale F5.
| Période | Avion emblématique | Particularité technique | Succès marquant |
|---|---|---|---|
| 1951-1960 | Mirage III | Aile delta supersonique | Victoire d’Israël en 1967 |
| 1970-1985 | Mirage F1 | Commandes multi-rôle | Plus de 720 exemplaires |
| 1986-2001 | Rafale A-C | Fusion de données radar | Premier vol 1986 |
| 2002-2025 | Rafale F3R/F4 | Capteurs AESA – Liaison 16 | Accords export à 15 Md€ |
- Un siècle d’innovations ininterrompues permet à Dassault d’afficher un taux de réussite à l’export de 71 % depuis 2000.
- La polyvalence des équipes – ingénierie, essais, marketing – est souvent citée comme un « modèle réduite » de la filière aéronautique nationale.
- Le lien armée-industrie reste constant : les pilotes de l’escadron de chasse 2/30 Normandie-Niémen participent régulièrement aux campagnes d’essais.
Ces racines nourrissent une identité d’entreprise qui dépasse la simple production d’avions : elle incarne une mémoire stratégique française transmise de génération en génération.

Le Rafale, ambassadeur de la souveraineté et moteur des exportations
Au-delà de la prouesse technologique, le Rafale est devenu l’outil de projection d’influence de l’État français. Conçu pour remplir quinze missions différentes dans la même sortie, il répond à la doctrine « omni-rôle » imaginée par la Direction générale de l’armement. Cette polyvalence se révèle déterminante lors de l’intervention au Sahel : de la reconnaissance à très haute altitude aux frappes de précision, un seul escadron peut suppléer plusieurs types d’avions spécialisés. Cette caractéristique séduit les forces aériennes qui doivent composer avec des budgets contraints.
Le service après-vente, souvent négligé dans les contrats d’armement, constitue l’autre pilier. Dassault propose un accompagnement global baptisé RAVEL (Rafale Availability Extension and Life cycle), incluant des stocks mutualisés, la maintenance prédictive avec Sagem, et la présence permanente de cadres sur les bases clientes. Ce modèle garantit plus de 75 % de disponibilité technique, un record dans les forces françaises. La Marine nationale atteste qu’un Rafale M peut être repassé en ligne en moins de six heures après un appontage nocturne.
Les succès commerciaux ont aussi une résonance politique. À la signature du contrat avec les Émirats arabes unis, un tweet de la ministre des Armées soulignait la capacité de la France à livrer sans conditionnalité américaine. L’accord de 16 Md€ a été possible grâce à l’absence d’ITAR (International Traffic in Arms Regulations) dans la cellule du Rafale. En filigrane, la souveraineté est donc un argument de vente. Une étude publiée par Réussir son Entreprise montre que 68 % des clients militaires étrangers classent la liberté d’utilisation en tête de leurs critères de choix.
La chaîne d’assemblage bordelaise mobilise 500 PME dont Nexter pour les obus air-sol ou Rafaut pour les pylônes, créant un tissu industriel de rang 1 aux retombées nationales. De Chartres à Mérignac, le tisserand technique Saint-Gobain fournit des composites de verrières tandis que Safran équipe les drones d’entraînement. La diplomatie économique française s’en saisit : chaque visite d’État intègre désormais un volet Rafale.
| Client | Nombre d’appareils | Particularités du contrat | Date de livraison |
|---|---|---|---|
| Inde | 36 | Maintien en condition opérationnelle sur 50 ans | 2019-2022 |
| UAE | 80 | Version F4+ customisée | 2027-2031 |
| Égypte | 54 | Financement mixte euro-dollar | 2015-2026 |
| Grèce | 24 | 12 neufs, 12 occasion | 2021-2024 |
- La part de contenu français dans chaque avion dépasse 90 % grâce aux contributions de MBDA et DCNS pour les systèmes embarqués.
- Une dizaine de simulateurs complets livrés à chaque client renforcent l’offre de formation.
- Le contrat RAVEL définit un objectif de 10 000 heures entre deux grandes visites, soit cinq fois plus que sur Super Étendard en 1990.
Pour accompagner cette dynamique, Dassault mise sur un centre de démonstration virtuel inauguré en 2025 à Istres. Des équipes mixtes Armée de l’Air – Naval Group y montrent, casque de réalité mixte sur la tête, comment un Rafale coopère avec un sous-marin Barracuda ou un navire de surface équipé du système Aster.
Services, divisions et chaîne de valeur : une offre à 360°
Derrière le panache des démonstrations aériennes, la compétitivité de Dassault repose sur la maîtrise intégrale de la chaîne de valeur. L’entreprise déploie trois grandes divisions : Aviation de combat, Avions d’affaires et Systèmes de soutien. Chacune dispose d’une autonomie budgétaire, mais toutes partagent un patrimoine technologique commun, hérité du Mirage.
La division support assure aujourd’hui 45 % du chiffre d’affaires. Elle gère la compatibilité des pièces, la connectivité des flottes et l’optimisation des cycles de maintenance grâce à l’IA développée conjointement avec Capgemini. Un tableau de bord Predictive Health Monitoring envoie en temps réel les noyaux d’usure vers les ateliers Safran : l’algorithme anticipe jusqu’à 30 % d’aléas logistiques.
Côté fret civil, Dassault Falcon Service transforme le Falcon 900LX en bioréacteur d’évacuations sanitaires. Pendant la crise sanitaire, l’appareil a rapatrié plus de 200 patients depuis la Guyane. Un responsable du SAMU de Paris confiait que “le Falcon est aussi fiable qu’un bloc opératoire mobile”. Dans la même veine, le partenariat avec Énergie Intelligente a permis de tester un carburant durable synthétique sur le vol Paris-Montréal, réduisant de 70 % les émissions nettes.
Le réseau d’usines s’étend de Mérignac à Seclin, en passant par Argenteuil. Une liaison ferroviaire directe transporte les fuselages sectionnés toutes les 48 heures. Naval Group intervient pour les structures de porte-avions, tandis qu’Arquus livre les véhicules de piste blindés destinés à la protection de l’emprise militaire.
| Division | Implantation principale | Nombre de salariés | Partenaire clé | Chiffre d’affaires 2024 (Md€) |
|---|---|---|---|---|
| Aviation de combat | Mérignac | 7 800 | Thales | 4,1 |
| Avions d’affaires | Little Rock (USA) | 2 300 | Safran | 2,7 |
| Soutien & services | Saint-Cloud | 3 600 | Capgemini | 2,4 |
- La digitalisation de l’atelier Falcon 6X réduit de 15 % la non-qualité grâce aux jumeaux numériques.
- Une flotte de drones logistiques Sagem transporte les pièces urgentes entre sites distants de moins de 300 km.
- La politique « One Dassault » impose un standard IT commun à l’ensemble des divisions pour éviter les silos.
Le modèle de partage de risques avec ses fournisseurs a été primé lors du forum Transformation Société : chaque PME bénéficie d’une visibilité pluriannuelle, renforçant ainsi la résilience de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

Culture interne et innovations : entre rigueur d’ingénieur et esprit d’équipe
La culture Dassault se nourrit de récits fondateurs. Une anecdote célèbre raconte qu’avant chaque revue de projet, Marcel Dassault imposait un vol d’essai en place arrière : si l’avion ne lui inspirait pas confiance, la réunion était reportée. Ce culte de la preuve perdure : les prototypes Falcon 10X réalisent encore des vols “lapins” cumulant 12 touch-and-go en une heure pour éprouver la robustesse des circuits hydrauliques.
Le management repose sur la notion “d’architecte système”. Chaque jeune ingénieur suit un parcours de trois ans mêlant aérodynamique, cyber-sécurité et supply chain. L’objectif : comprendre l’avion comme un écosystème. Cette transversalité a séduit des géants comme Sagem et MBDA, qui co-animent des modules de formation interne.
Dassault a également fait de la sobriété énergétique un argument de compétitivité. Le site d’Argonay recycle 95 % de ses copeaux d’aluminium. Grâce à un partenariat pilote avec Bouygues Habitat, les ateliers sont désormais chauffés par la chaleur fatale récupérée sur les centres d’usinage. Le retour d’expérience, publié dans la revue “Green Aero”, indique un gain annuel de 4 GWh.
L’esprit de confidentialité, longtemps perçu comme hermétique, se modernise avec le programme “Open Cockpit”. Chaque trimestre, un groupe d’étudiants d’ISAE-Supméca planche sur une problématique réelle : l’optimisation du déploiement d’antenne SATCOM sur Rafale F5 ou la fiabilisation d’un actuateur DCNS. Les meilleurs projets débouchent sur un brevet partagé.
| Innovation | Objectif | Partenaire | Échéance |
|---|---|---|---|
| Rafale F5 Cloud | Intégrer une IA tactique embarquée | Thales | 2030 |
| Eco-Flap Falcon | Réduire la consommation de 10 % | Safran | 2028 |
| Drone d’appui loyalist | Assister le NGF dans SCAF | Airbus Defence and Space | 2032 |
| Matériaux 4D | Autoréparation de surfaces | Nexter R&D | 2029 |
- Le programme d’intrapreneuriat “Take-Off” a déjà vu naître huit start-ups, dont une spécialisée dans les capteurs quantiques.
- Un partenariat avec TotalEnergies alimente 30 % du kérosène d’essai en biocarburant.
- Le collectif féminisation passe la barre des 22 % d’ingénieures, contre 12 % en 2015.
Au-delà des chiffres, la culture se résume souvent par la phrase d’un ancien chef d’escadrille : “Chez Dassault, on fait avant de dire.”
SCAF et coopétition européenne : un défi politique autant qu’industriel
Le Système de Combat Aérien du Futur devait symboliser l’union Franco-Allemande relancée par le traité d’Aix-la-Chapelle. Huit ans plus tard, le programme, qui associe Airbus Defence and Space, Dassault, Thales et Safran, peine toujours à sortir de la phase 1B. Le nœud : la gouvernance du New Generation Fighter (NGF). Berlin et Madrid exigent un contrôle partagé à parts égales, tandis que Paris défend le principe dit du “meilleur athlète”, historique depuis le Mirage.
Une note interne de la DGA, révélée par la commission Défense de l’Assemblée nationale, estime qu’un retard supplémentaire de deux ans coûterait 6 Md€ et menacerait la cohérence de la dissuasion nucléaire française. Face à cette impasse, certains scénarios évoquent un plan B 100 % français réunissant Dassault, Thales, Safran et MBDA. Le précédent du Jaguar, développé en 1965 avec la Grande-Bretagne avant d’être francisé, prouve que ce type de rupture existe.
Le conflit prend même un tour personnel. Lors du salon ILA de Berlin, le patron d’Airbus DS, Michael Schoellhorn, déclare que “le temps des hégémonies est terminé”. Trappier réplique le lendemain : “On ne peut pas piloter un avion par comité”. Les observateurs y voient la rançon d’une coopétition mal encadrée. Pour tempérer, DCNS propose de jouer le rôle d’arbitre neutre, fort de son retour d’expérience sur le programme FREMM.
| Pilier SCAF | Maître d’œuvre actuel | Taux d’avancement | Blocage principal |
|---|---|---|---|
| NGF | Dassault Aviation | 38 % | Leadership et partage IP |
| Drones accompagnateurs | Airbus Defence and Space | 54 % | Interface Data-Link |
| Cloud de combat | Thales | 48 % | Cyber-sovereignty |
| Moteur | Safran / MTU | 43 % | Droits d’export |
- Une solution consisterait à confier la médiation technique à l’Agence Européenne de Défense, suivant l’exemple du programme Galileo.
- Plusieurs sénateurs proposent d’intégrer le Royaume-Uni, déjà engagé sur son Tempest, pour mutualiser les risques.
- Le calendrier actuel prévoit un démonstrateur fin 2030 ; tout retard pousserait l’entrée en service au-delà de 2045.
L’enjeu dépasse l’aéronautique : il conditionne la crédibilité de l’Europe face aux F-35 américains et aux projets chinois J-35. Comme l’écrit une tribune publiée dans Soutien Économie, “le SCAF est le test grandeur nature d’une souveraineté partagée”. Reste à savoir si la politique saura se hisser à la hauteur des ingénieurs.
Quels sont les principaux partenaires industriels de Dassault Aviation ?
Thales pour l’électronique de défense, Safran pour les moteurs et équipements, MBDA pour l’armement, Naval Group pour les integrations navales, ainsi qu’un réseau de PME comme Nexter, Arquus, Rafaut ou Sagem.
Pourquoi le Rafale est-il considéré comme un atout de souveraineté ?
Son architecture 100 % française garantit la liberté d’emploi, d’export et d’évolution sans dépendre de licences étrangères, ce qui préserve les choix stratégiques de Paris.
En quoi le programme SCAF diffère-t-il des coopérations passées ?
Il s’agit d’un « système de systèmes » mêlant avion, drones et cloud de combat, impliquant trois nations principales et une gouvernance complexe qui doit concilier souveraineté et partage industriel.
Quels services accompagne l’achat d’un Rafale ?
Le package inclut la formation des équipages, un contrat de maintenance RAVEL garantissant jusqu’à 75 % de disponibilité, des stocks de rechange, des chaînes de soutien logistique et un transfert de compétences localisé.
Comment Dassault réduit-il son impact environnemental ?
L’entreprise mise sur des carburants durables, la récupération de chaleur dans ses ateliers et la digitalisation pour optimiser les chaînes de montage, conformément aux objectifs fixés par l’ADEME pour 2030.







